Déchaînées, les bébelles du Père Noël attendent que minuit sonne pour suspendre leurs activités automates. L'inventeur profite des dernières heures pour assembler les morceaux épars de sa cacophonie luminocinétique. L'inutile en mouvance rafistolé par le jazzeur sonné d'un siècle fou.

"L'homme est un être de désir. Le travail ne peut qu'assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant au premier. Ceux-là ne travaillent jamais." - Henri Laborit, Eloge de la fuite

Si vous m'aviez vu les yeux lorsqu'il m'a invitée à venir le visiter dans son atelier, ronds comme des billes, avides de curiosité. Je n'allais pas refuser pareille occasion, d'autant que Florent Veilleux est un inventeur au cerveau particulièrement prolifique qui carbure aux idées. Toutes les idées: les idées propres, les idées censurées, les idées fragmentées, les idéaux, les idées reçues, les idées molles, les idées creuses, les idées rares et les idées noires. Même les idées fixes ont une dernière chance de se décoincer dans son atelier.

Pas une idée qu'il ne puisse recycler quelque part pour en faire ce qu'on appelle de l'art dans les salons, et des installations dans le jargon du métier. Les enfants disent aussi des patentes, un mot gossé dans l'imaginaire collectif québécois qui raconte mieux que tous les autres la drôlerie majeure et les symphonies mineures animant ces sculptures luminocinétiques, en lumière et en mouvement.

Ici, dans cet atelier souterrain de la rue Papineau, au bout d'un escalier de bois escarpé (baissez la tête, ça va cogner!), on trouve de fabuleuses inventions. Mécaniques à tuer le temps, elles répondent à des besoins qui n'existent pas: une machine à secouer l'eau ballotte un verre de droite et de gauche, une autre fait ouvrir un bouquet de fleurs en plastique qui aussitôt se fane sous notre nez. Rangées selon la nature de leur ADN, des balles dans une boîte, des engrenages dans une autre, des circuits électroniques, des articulations, de vieilles tables tournantes, des appareils électroménagers démontés, des haut-parleurs, des têtes de poupées, des moteurs, des objets dont l'existence utile se voit tout à coup promises à l'inutile légèreté de l'être dans une prochaine incarnation.

Ici, dans le capharnaüm du Dr Frankenstein, on s'attend à voir des robots se diriger vers nous le cœur battant, à entendre parler les machines à coudre, à attraper les grilles pain au vol. Dans un coin, le patenteux démonte, dans un autre il entrepose, et finalement, une bonne partie de son atelier est réservée à l'assemblage et au reprisage d'idées.

Des perceuses, des scies sauteuses, des fils électriques servent de guides au zigoneux. Peintures, vernis et pinceaux appliqueront un peu de couleur là où le temps a fini par délaver son œuvre.

Nous sommes les enfants d'un siècle pressé de n'aller nulle part et chaque installation de Florent Veilleux en fait la brillante démonstration, soulignant tantôt l'absurdité, tantôt la bêtise, toujours l'orgie du gaspillage.

L'électronicien de 57 ans a étudié la philosophie à la Sorbonne, la biologie, le droit, la musique (il a endisqué une dizaine de fois en France et chanté aux côtés de Sacha Distel et d'Enrico Macias), la photographie, a produit des films sur l'art et publié un recueil de nouvelles aux éditions Québec-Amérique.

Le Devoir, 23 décembre 1998  Josée Blanchette

L'ATELIER DU PÈRE NOEL
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FLORENT VEILLEUX
est un inventeur au cerveau
particulièrement prolifique qui carbure aux idées